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Voici le premier article issu d'un partenariat entre Sens Critique et Criticus le blogue. Au fils des semaines, nous publierons réciproquement des billets parus sur nos blogues, le tout pour offrir une couverture la plus complète possible de l'actualité politique international. Ce partenariat apportera donc une touche européenne à ce blogue, et Sens Critique ajoutera une touche nord-américaine à Criticus. Espérons que cela saura vous plaire...
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J'ai renoncé à regarder le match France-Tunisie ce soir. Comme je le redoutais, la Marseillaise a été copieusement sifflée par une large partie du public du Stade de France, situé, faut-il le rappeler, à proximité de la Basilique royale de Saint-Denis où gisent plusieurs dizaines de rois de France. Cet événement serait anecdotique s'il n'était pas récurrent. Cela s'était produit en 2001 lors du France-Algérie (4-1 pour la France) de triste mémoire, interrompu après l'invasion de la pelouse par des « Algériens » qui étaient en fait, à n'en pas douter, français.
Marie-George Buffet, ministre communiste de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement de « Gauche plurielle » de Lionel Jospin, avait tenté de ramener les « jeunes » à la raison. Son échec prouvait bien, comme le ferait plus tard l'agression de manifestants anti-CPE par d'autres « jeunes », qu'il ne suffit pas de « dialoguer » pour être aimé, encore moins pour être respecté. Mais la leçon n'a jamais porté...
En 2002, lors de la finale de la coupe de France Bastia-Lorient (remportée 1-0 par les Morbihanais), les supporters corses avaient également sifflé l'hymne national, ce qui avait conduit Jacques Chirac à quitter le Stade de France... avant d'y revenir, image assez fidèle de la fausse fermeté de la France à l'égard de ses ennemis déclarés.
Puis, l'an dernier, à ma grande surprise et ma non moins grande consternation, le même scénario, encore, s'est reproduit, pour France-Maroc, alors que le contentieux entre le Royaume chérifien et son ancienne puissance coloniale n'est pas exactement le même qu'avec l'Algérie. Ni le Maroc, ni la Tunisie, n'ont été colonisés au sens strict.
Le match s'était conclu sur un résultat nul (2-2), et si le public, acquis à la cause du Maroc, semblait redouter la victoire française qui se dessinait au cours de la rencontre, il s'était félicité de l'égalisation in extremis des Marocains.
Je m'étais ému des sifflets, car je croyais encore, naïvement, non seulement au bien-fondé, mais encore à l'effectivité, du modèle « jacobin », assimilationniste, d'intégration français. Si je reste persuadé de la supériorité de ce modèle sur le multiculturalisme britannique, le « pilarisme » néerlandais ou le communautarisme nord-américain, je ne suis plus autant convaincu de sa réalité.
Car ce que prouvent ces charivaris, ce n'est pas, ne nous méprenons pas ici, la haine de la France par le Maroc et la Tunisie, même si les protectorats imposés par le passé à ces deux pays y sont à l'origine d'un réel - et relativement logique - ressentiment.
Lorsque les Bleus sont allés gagner le Tournoi Hassan II au Maroc, à chaque fois juste avant les campagnes victorieuses du Mondial 1998 et de l'Euro 2000, l'équipe de France, son hymne, n'avaient pas été sifflés par le public marocain, « sportif ».
Délitement du sentiment national et échec de l'intégration
Ce que ces lazzis et ces huées démontrent, c'est donc que la France n'assimile plus, non seulement les nouveaux venus, mais aussi, et c'est évidemment plus grave, leurs enfants. Qu'on ne me fasse pas de procès en angélisme, mais je pense que les fautifs en sont, en premier lieu, les Français eux-mêmes, qui ont laissé se déliter le sentiment national. Ce n'est pas la faute des immigrés s'il est devenu honteux d'arborer le drapeau tricolore, d'entonner la Marseillaise, ou, attitude qui a davantage ma faveur, de se dire fier de la France, de sa langue et de sa culture.
Et il serait inconséquent de ne pas faire le lien entre ces événements parasportifs et les émeutes de 2005, qui avaient signifié au monde entier l'échec de l'intégration à la française, alors que la France en avait longtemps tiré une fierté certaine.
Car, n'en déplaise à Emmanuel Todd, qui avait pourtant appelé à la « renaissance de l'idée de nation », notamment dans L'Illusion économique, ces émeutes n'empruntaient pas à la geste révolutionnaire de la Fronde, de 1789, 1830, 1848 et 1871. Elles n'étaient pas des preuves d'intégration, mais au contraire de rejet.
Et, fussent-elles menées par des individus de nationalité française, ceux-ci ne se définissent pas, à l'évidence, comme tels, puisque « Français », ou plutôt « céfran », est devenu une insulte dans certains pans de la population. La nationalité française est pourtant, dans la longue tradition théorisée par Ernest Renan (1882, Qu'est-ce qu'une nation ?), une nationalité « civique », c'est-à-dire subjective. Est français celui qui se définit comme tel. Ni la naissance sur le sol français, ni le fait d'avoir des parents français, ne confère selon cette conception la nationalité.
Il faut donc en finir avec cette véritable absurdité française qui combine droit du sol - toute personne née sur le territoire français est française - et droit du sang - toute personne d'ascendance directe française l'est aussi. Il conviendrait ainsi, comme le proposait, entre autres, Ivan Rioufol dans son pamphlet, La Fracture identitaire, dont j'avais écrit l'an dernier la longue mais assez complète recension, de revenir au jus voluntatis, c'est-à-dire à l'obtention de la nationalité au mérite, principe qui avait été retenu un temps par la Révolution française de 1789.
Cela reviendrait à cesser de ne pas voir qu'il est possible de posséder des papiers français et de ne pas être français, un état de fait qui peut tout aussi bien concerner des Français dits « de souche » puisque, nous l'avons dit, le rejet de la nation est avant tout le fait des Français eux-mêmes. Leur exemple a juste été imité.
Cette mise en perspective doit donc nous faire prendre conscience de la gravité de la situation : il n'est pas anodin que l'hymne de la France soit outragé, conspué.
Non pas, comme certains doivent le craindre ou feindre de le croire, parce que cela serait de mise à donner des arguments supplémentaires à l'extrême-droite. Le 21 avril, certes, n'est pas loin. Mais la violence du Front national est - et reste - verbale.
Mais parce que, lorsque cet effacement de la nation entre en résonance avec les menées de leaders religieux obscurantistes, le retour des guerres de religion n'est pas loin.
La question est à présent de savoir si la France, et toutes les nations occidentales confrontées au même problème, se sont préparées à l'éventualité de tels conflits. La réponse, négative, prouve à mon sens la pertinence - et l'urgence - d'une réponse coordonnée au niveau occidental, qui aurait des implications dans tous les domaines concernés : immigration, intégration, éducation, urbanisme, sécurité, laïcité, etc.
Roman Bernard
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