vendredi 19 septembre 2008

Élection présidentielle américaine



La campagne présidentielle américaine cuvée 2008, qui connaîtra son dénouement le 4 novembre prochain, a été depuis le début haut en couleur. On aura entre autres assisté à la victoire d'un candidat démocrate à laquelle on ne s'attendait pas et à la nomination d'une colistière républicaine dont les connaissances et l'expérience ne font aucunement l'unanimité. Outre cela, cette élection mérite que l'on s'y attarde puisque d'une certaine façon son résultat aura une incidence directe sur la vie de millions de non-Américains compte tenu du fait que la direction de la politique intérieure et étrangère des États-Unis influence la donne au niveau mondial. Ainsi, nous vous proposons de s'attarder à ce sujet l'instant de deux textes — qui, nous l'espérons, vous donneront le goût d'en apprendre davantage sur le sujet — traitant respectivement du principal défi incombant à Barack Obama en matière de politique étrangère s'il est élu président, et de l’explication du phénomène Sarah Palin.


La Presse
Forum, mercredi, 27 août 2008, p. A27

À la recherche d'une vision:
Obama doit trouver un rôle pour Washington dans le monde

Coulon, Jocelyn

En choisissant le sénateur Joe Biden comme colistier et caution d'une certaine expertise en politique étrangère, Barack Obama donne de la crédibilité à sa candidature. Il lui reste à articuler une vision du rôle des États-Unis dans le monde.

Barack Obama est bien entouré. Quelque 300 experts, répartis en 20 équipes dont chacune est spécialisée sur une région du monde ou une question, fournissent quotidiennement conseils, idées et courtes réponses à un candidat dont la politique étrangère est censée être le point faible. Cette richesse en personnes et en idées est un atout considérable pour le parti démocrate devant un Parti républicain anémique et essentiellement collé à l'héritage désastreux de l'administration Bush. Mais cette richesse n'est pas le signe d'une vision globale du rôle des États-Unis dans le monde. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les opinions exprimées par certains de ces experts dans les grandes revues de politique internationale, dont les numéros de septembre/octobre viennent d'être publiés il y a quelques jours à peine.

Avant de les lire, il faut d'abord prendre connaissance d'un texte publié dans The American Interest, par Ernest May et Philip Zelikov. Les deux auteurs prennent de l'altitude et refusent d'endosser l'un ou l'autre candidat. Ils soulèvent une question fort intéressante: depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis n'offrent au monde qu'un "mélange ahurissant et déconcertant d'idées et de propositions". Selon eux, le temps de la politique avec un grand P semble terminé. Fini, les doctrines comme "l'empire de la liberté", "la doctrine Monroe", ou "l'endiguement" qui caractérisaient les attitudes et les politiques américaines sur la scène internationale depuis deux siècles. Ces doctrines, écrivent les auteurs, ont été des réussites, car elles ont passé le double test de l'appui populaire et de l'efficacité. Depuis 1990, ni le "nouvel ordre mondial", ni la "guerre au terrorisme" n'ont réussi ce test.

Si l'Amérique veut refaire sa réputation et retrouver un rôle à sa mesure sur la scène internationale, il lui faut une grande idée, un grand défi susceptible de mobiliser la formidable énergie de son peuple et la puissance de ses ressources. Les deux auteurs proposent "un monde ouvert et civilisé", une politique essentiellement fondée sur le respect des autres, afin de faire face à ce qu'ils considèrent comme la première des menaces, la tension croissante entre globalisation et préservation des communautés.

Une telle idée a-t-elle des chances d'être adoptée par l'un ou l'autre camp? Les auteurs l'espèrent, mais on peut en douter. Elle a ses imperfections et pourrait être perçue à l'étranger comme une nouvelle incarnation de l'impérialisme américain.

La perle rare

En attendant de trouver la perle rare, les propositions avancées par tous ces conseillers-ambassadeurs-secrétaires-d'État-et-à-la-Défense en devenir nous ramènent rapidement sur le plancher des vaches de la politique partisane et de la gestion au quotidien. Cela est nécessaire, bien entendu, mais loin de la politique avec un grand P.

Dans Foreign Affairs comme dans The American Interest, les idées exprimées dans le camp démocrate sont intéressantes, souvent généreuses, mais il ne faut pas s'attendre à des analyses originales, à une vision globale. Le ton est donné par Richard Holbrooke, l'éternel candidat au poste de secrétaire d'État démocrate depuis la campagne de John Kerry. Le prochain président, écrit-il, "aura devant lui une tâche colossale" et "héritera dès le premier jour au pouvoir d'un ensemble de problèmes internationaux plus épineux que tout ce qu'ont eu à régler ses prédécesseurs depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale". Il appelle à la définition d'un "vaste concept global et déterminant de ce que seront les intérêts nationaux des États-Unis", mais il est incapable d'en articuler la structure dans son texte. Même son de cloche chez le démocrate Lee Hamilton, dans The American Interest. Obama "sera confronté à une somme écrasante d'affaires à conclure qui exigeront toutes son attention immédiate", écrit-il, tout en proposant sa liste d'épicerie.

Bref, pour reprendre l'argumentaire de May et Zelikov, avec Barack Obama, comme avec John McCain d'ailleurs, les Américains et le monde auront encore droit à "un mélange ahurissant et déconcertant d'idées et de propositions". Sans plus.

L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié au CERIUM de l'Université de Montréal (j.coulon@cerium.ca).



La Presse
Forum, jeudi, 18 septembre 2008, p. A27

Cherchez le "Beehive":
Même élue gouverneure, Sarah Palin a continué de fréquenter son petit salon de coiffure de Wasilla, montrant ainsi son côté authentique


Dreher, Rod

Comment expliquer le phénomène Sarah Palin? Oubliez les pontes, les sondages et les grandes questions. Cherchez plutôt du côté du Beehive.

Le Beehive est le salon dans la minuscule ville de Wasilla où Mme Palin se fait coiffer depuis six ans. Après être devenue gouverneure de l'Alaska, Mme Palin a continué à fréquenter le Beehive pour se faire coiffer plutôt que de transférer sa loyauté à un salon plus huppé dans la grande ville. Selon le New York Times, les femmes qui fréquentent le Beehive forment une communauté tricotée serré qui partage triomphes et chagrins et qui est devenue une véritable sororité de "magnolias d'acier", nom que l'on donne à certaines femmes du sud des États-Unis.

Chaque petite ville américaine a son Beehive. Ma soeur Ruthie, qui enseigne dans une petite ville de la Louisiane, se fait coiffer dans la version locale du Beehive. Ruthie adore la gouverneure de l'Alaska, bien que Mme Palin n'ait guère impressionné en répondant à des questions de politique. "Je ne m'attends pas à ce qu'elle sache tout, m'a expliqué Ruthie. Tout ce que je veux savoir, c'est si elle a de bonnes valeurs et si elle est assez brillante pour s'entourer des bonnes personnes pour la conseiller."

Et il s'avère que c'est précisément comme ça que votent la plupart des Américains, du moins selon Doug Sosnik, Matthew Dowd et Ron Fournier, auteurs de l'ouvrage Applebee's America, paru en 2006. Sosnik et Dowd sont de grands stratèges politiques des partis (respectivement) démocrate et républicain, tandis que Fournier est un reporter politique de grande expérience. D'après eux, les politiciens qui ont le plus de succès aujourd'hui aux États-Unis sont ceux qui, dans l'esprit des électeurs, partagent leurs valeurs. Parfaits ou francs?

"Le succès sera au rendez-vous pour tout leader qui répond au désir du public de communauté et d'authenticité", écrivent-ils. Pourquoi l'authenticité? Parce que les gens en ont assez des politiciens qui renient leurs promesses. Les Américains ne souhaitent pas des politiciens parfaits; ils veulent des politiciens qui soient francs.

C'est ce que des millions d'Américains voient en Sarah Palin, une véritable négligée. Le charismatique Barack Obama inspire la même sorte de confiance et de passion chez des millions d'autres électeurs. Mais il est une figure cosmopolite animée d'un élan sans pareil; par contraste, Mme Palin accomplit l'exploit presque impossible d'être à la fois "campagnarde" et cool.

Il est difficile d'exagérer la portée des attaques de blogueurs libéraux et de certains commentateurs dans les médias, lancées initialement contre Mme Palin, qui l'ont traitée de vulgaire péquenaude. Aux États-Unis, nous menons la lutte des classes non pas sur le champ de bataille économique, mais plutôt dans l'arène culturelle. Lorsque des universitaires féministes ont accusé Mme Palin d'être une femme artificielle à cause de ses valeurs inspirées par la culture des petites villes, leur élitisme condescendant a perçu correctement la nature de la candidate comme une insulte à leur propre identité et dignité.

Alors, voter en faveur de Mme Palin devient une manière populiste pour les gens qui vivent dans les communautés du centre et du sud des États-Unis méprisés par les élites des métropoles côtières de montrer leur derrière aux personnes cultivées qui méprisent la normalité.

Est-ce la bonne façon de choisir le président des États-Unis? Bien sûr que non. Mais c'est comme ça que nous faisons les choses ici. Au sein de la démocratie américaine, les gens n'ont jamais voté en se fondant sur le curriculum vitae d'un candidat. Après avoir prononcé l'un de ses brillants discours de campagne dans les années 50, l'intellectuel démocrate Adlai Stevenson s'est fait dire qu'il avait le soutien "de tout ce qui pense aux États-Unis". "C'est insuffisant, a répondu Stevenson. Il me faut une majorité."

L'auteur est éditorialiste au Dallas Morning News.

Aucun commentaire: